Il faut s’y faire : le capitalisme est devenu assisté, par François Leclerc

Billet invité.

La question est dans toutes les têtes : quel est le prochain domino qui va tomber ? Certains verraient bien à l’origine d’une réaction en chaîne dans ce rôle, le spectaculaire éclatement de la bulle immobilière britannique qui a commencé de manière impétueuse. D’autres manifestent leur préférence pour l’effondrement du système bancaire italien au caractère systémique prononcé. Les deux, peut-on remarquer, ne sont ni certains, ni incompatibles. Quoi qu’il en soit, ce doute est significatif  : les épisodes de la crise se succèdent, toujours aussi peu prévisibles. D’une manière générale, on s’attend au pire et les Cassandre ne font plus recette, n’ayant plus rien à annoncer qui ne soit déjà redouté.

Prenons le cas italien. Conséquence du Brexit, les prévisions de croissance du pays, déjà très faibles, sont à la baisse d’après la Confindustria, l’équivalent italien du Medef  : la croissance pourrait n’être que de 0,8% en 2016. Cela va avoir pour conséquence d’accroître encore le volume des prêts non performants des banques et de rendre encore plus cruciale une augmentation de leurs fonds propres. Or les trois plus importantes – Unicredit, Intesa San Paolo et Monte Paschi (MPS) – ont déjà dévissé en Bourse, ne créant pas les circonstances favorables à une levée des fonds pour renforcer leurs fonds propres. En trois mois, MPS a chuté de 75%.

L’Union bancaire, qualifiée par Reza Moghadam de Morgan Stanley de « tigre de papier » dans le Financial Times, se révèle ne pas être la solution en raison des lourdes implications politiques de sa réglementation. Le baptême du feu est raté. Violant la raison d’être de cette union inachevée – protéger les contribuables – le gouvernement italien voudrait les recapitaliser sur fonds publics, mais l’on se demande s’il en a bien les moyens (une question qui n’est pas propre à l’Italie). A défaut, il travaille à un deuxième montage financier tarabiscoté qui n’a d’autre raison d’être que de repousser le moment où l’État devra intervenir, afin de sauver dans l’immédiat les apparences. Les discussions entre Bruxelles et Rome sont acharnées et le sauvetage attend toujours. Intéressé à la partie, Lorenzo Bini Smaghi de la Société générale réclame une solution européenne reposant sur des fonds publics. On peut toujours rêver.

Tout le monde n’est pas dans ce cas, sentant le moment venu de lancer une contre-offensive. Dans le but de maîtriser un nouveau dérapage des banques, une usine à gaz réglementaire reste en cours de construction à l’échelon européen. Mais les propositions du Comité de Bâle suscitent désormais la rébellion ouverte des fédérations bancaires allemande et française, qui s’opposent à ses dernières propositions de coussin amortisseur de choc et se sont rendues en délégation auprès de Wolfgang Schäuble. Grand défenseur des banques françaises, le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau, leur a apporté son soutien déclaré.

Pour autant, les résultats recherchés ne sont pas au rendez-vous. Une étude de Standard & Poor’s (S&P) confirme que la part des actifs souverains dans les bilans bancaires continue d’augmenter. Porteur d’un risque important, ce lien renforcé justifie les tentatives de prise en compte de ces actifs dans le calcul du risque bancaire, ou alternativement de quota à respecter. S&P a calculé que limiter à 25% l’exposition des 50 plus grandes banques au risque souverain aurait comme conséquence la réallocation sur le marché de quelques 1.700 milliards d’actifs, pesant sur leur cote.

Les défenseurs du monde parfait – mais fictif – qui repose sur les justes arbitrages du marché sont orphelins. Ils peuvent se plaindre de l’intervention des banques centrales qui distordent les mécanismes de marché, mais que resterait-il de cette entité abstraite si leurs mesures non conventionnelles n’avaient pas été déployées ? Il faut s’y faire : le capitalisme est devenu assisté.

A l’étage politique, les gardiens du temple sont à la fête, gouvernement allemand en tête. Ils ont au menu des réjouissances, l’Espagne et le Portugal, ainsi que le sauvetage des banques italiennes. Leur intransigeance aveugle vise à éviter que, de fil en aiguille, les murailles ne se fissurent d’avantage. Mais elle crée les conditions d’un nouvel approfondissement de la crise européenne, quel que soit le bout par lequel on la prend, des États ou des banques.